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Face A
4 août 2007

Voilà plusieurs semaines que cette fille est

Voilà plusieurs semaines que cette fille est revenue dans le quartier, après quelques mois, peut-être quelques années d'absence. Nous l'avions connue adolescente, puis jeune femme, lorsqu'elle rentrait le week-end en permission. Une superbe fille, dynamique, souriante, amoureuse. Puis elle avait quitté l'armée, avions-nous appris, et elle ne revenait plus ici. Lorsque je l'ai à nouveau croisée il y a environ un mois, j'avais été effrayé, affolé. Aucun mot ne peut décrire sa maigreur, ses joues émaciées, ses grands yeux noirs cernés d'os, ses jambes atrocement maigres qui donnent l'impression de vouloir se briser à tout instant. J'avais l'impression d'avoir en face de moi l'incarnation de la maladie et de la mort, cachée derrière ce sourire dont elle ne s'était pas départi.

Hier soir, alors que comme souvent j'aidais mon homme au magasin, j'ai ressenti une sorte d'appréhension lorsque je l'ai vue entrer. Un bref coup d'œil vers mon homme (il ne l'avait pas encore revue depuis son retour) me renvoie son regard affolé. Je m'approche de lui et il me glisse à l'oreille Excuse-moi, je ne peux pas. Il disparaît aux WC. Je sers la jeune femme, toujours aussi souriante. Ses mains sont noires, j'ai du mal à la regarder dans les yeux. À la regarder, tout court.
Je retrouve mon homme en larmes. Des sanglots tels que je ne les lui ai jamais connus. Il pleure à chaudes larmes, elle n'a pas le droit, elle n'a pas le droit.
Tu sais ce que ça veut dire, ses mains noires comme ça ? Tu sais ce que ça veut dire ? La maladie, la fin, la mort. Pourquoi elle me fait ça ?
Il s'est subitement retrouvé face à ses fantômes, ceux qu'il avait quittés en quittant sa ville. Ceux qu'il avait accompagnés à l'hôpital, ceux qui le regardaient avec la peur dans les yeux, celui qu'il avait surpris une seringue dans le bras, son amour, parti en deux semaines. Ceux qui ne comprenaient pas qu'ils vivaient leurs derniers jours. Eux aussi, leurs mains avaient jauni ainsi, puis noirci. Eux aussi, ils avaient ces yeux immenses au cœur d'un visage déserté.
« Je ne veux plus de ça, je n'en veux plus. Je suis parti, je ne pensais plus jamais voir ça. Pouquoi elle me fait ça, pourquoi ?
Ils ne le savent pas, tous ces gens, que la vie est belle ? Moi je veux que la vie soit belle, je trouve que la vie est belle et j'aime la vie. Alors vivons, merde, vivons ! »


Plus tard, il s'est excusé, tu dois te dire 'mais avec qui je vis, c'est quoi cette chochotte' ? Je l'ai serré dans mes bras et je lui ai murmuré que moi aussi, j'aimais la vie, et qu'elle était belle avec lui.


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Commentaires
M
Beau texte.<br /> la vie et la mort sont soeurs jumelles souvent, mais ne font qu'une en fait tel le blanc et le noir du Tao ou les parois d'un cristal ; tel notre reflet dans le miroir du matin.<br /> On croit séduire l'une pour éloigner l'autre, alors que les mains de la fiancée noircissent de jour en jour comme la cendre, le carbone.<br /> Il faut bien vivre hélas... (comme disait l'autre) parce que le noir est beau, mais c'est un peu la couleur du néant...<br /> A+
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