Vue de trois-quarts sud-est, la ville se
Vue de trois-quarts sud-est, la ville se détachait devant les coteaux, irradiée par la lumière orangée du soleil couchant. Les contours nets des clochers, les arêtes vives des immeubles et les profils acérés des palais se dessinaient avec acuité sur les premiers contreforts rocailleux et assombris. Et au pied des bâtisses, la mer. Je pensai à Venise, dont je me rappelai le clocher du Campanile que je croyais reconnaître ici, sur ma gauche. La couleur ocre et chaude des briques, exacerbée par le crépuscule naissant, les flots calmes au premier plan et la splendeur lointaine des demeures que je devinais depuis mon promontoire, tout concourrait à me ramener dans la lagune, quelques années en arrière. À peine m'étonnai-je de ce massif qui semblait presque fait de carton-pâte, et dont la présence incongrue ne faisait qu'accentuer la part de mystère qui se dégageait de la ville. Je m'apercevais avec stupeur et une douce surprise que je redécouvrais ma ville, et que jamais je ne l'avais vue ainsi. Me revenait alors cette phrase lue mille fois sans être lue, dans ce vieux livre ouvert aux pages jaunies et qui commençait ainsi :
« Il est banal de dire que l'habitude émousse la sensibilité… »
J'avais onze ans, puis j'en avais eu quinze et certainement vingt avec ce livre. Et dans ce crépuscule orange, sur ce promontoire imaginaire, face à la mer et aux coteaux, j'en avais au moins mille et je m'émerveillais.