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Face A
29 décembre 2010

« Merci d'être venu. » Je baissai les paupières

« Merci d'être venu. »

Je baissai les paupières d'un air convenu qui se voulait à la fois rassurant et empreint de sympathie. Quelques essaims de personnes qui m'étaient toutes inconnues se formaient çà et là, je restai isolé et indécis. Un ciel de novembre paisible et bas conférait à la scène et au lieu une pâleur irréelle, semblable à un rêve cotonneux dans lequel je ne trouvais pas ma place. Une forme de politesse m'avait mené ici, un sens flou du devoir à accomplir.

L'attente ne fut pas très longue, selon mon souvenir. Je ne sais plus à quel moment sa silhouette apparut en arrière-plan. L'image fut saisissante. Non pas en elle-même, cela vint plus tard, ce coup brutal au cœur mêlant stupeur et apitoiement. Non, elle fut saisissante dans sa mise en scène involontaire. La voiture qui ralentit pour s'immobiliser derrière la grille, les quelques secondes d'attente, la portière qui s'ouvre lentement et la silhouette qui s'en extrait péniblement. Le silence qui s'ensuivit n'a certainement pas existé ailleurs que dans mon esprit. Certainement me dirigeai-je vers lui pour le saluer, peut-être pas immédiatement, peut-être laissai-je d'autres manifester leur joie contrite avant moi. 

Il se tint en retrait pendant les brèves minutes que dura la cérémonie, comme un étranger. Il suivit du fond du cimetière la fermeture du caveau, sans voir autrement que de loin les larmes de ma tante et de ses enfants. Derrière nous tous. Et je sentais son regard qui couvrait notre assemblée comme un voile de bienveillance. Comme la manifestation d'une volonté de réconciliation tardive, non, plutôt comme la manifestation d'une absence de griefs, finalement, comme l'aveu de l'absurdité et de la futilité de longues années de mésentente.

Il repartit presque aussitôt. Et chacun s'étonna de le voir, lui-même à bout de forces, rongé par le même mal que celui qui avait tué l'homme que nous venions d'enterrer, chacun s'étonna de le voir parcourir une aussi longue route pour venir rendre ce dernier hommage aussi bref que surprenant.

  Nous étions tous aveugles, moi le premier. Frappé par sa maigreur et sa fragilité, je n'échangeai que quelques brèves banalités avec mon père avant de le laisser repartir. Sans savoir, évidemment, et pourtant, mais le devinait-il lui-même, que cet enterrement préfigurait le sien avec deux mois d'avance.

La voiture s'éloigna comme elle était venue, suscitant murmures et mines embarrassées. 

« Merci d'être venu, Sylvain. »

 

 

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