Hier soir

Sa voiture était garée face à la maison, sur le trottoir opposé.
Quand je le vis sortir de son bureau, Fa. traversa la rue lentement, ouvrit la portière et se mit au volant, comme tous les soirs. Puis il prit sa tête dans ses mains, alors que le moteur était déjà allumé, et resta longtemps ainsi, sans bouger.
« Je crois que Fa. ne va pas bien. »
Mon homme vint à mon côté. Le moteur tournait, et Fa. avait toujours son visage dans ses mains.
Puis il releva les yeux et alors qu'il s'apprêtait à repartir, se tournant pour vérifier qu'aucune voiture n'arrivait par derrière, son regard croisa le nôtre. Mon homme lui fit un grand signe du bras, l'incitant à traverser la rue pour venir nous voir. D'une légère moue, Fa. lui fit comprendre qu'il n'en avait pas envie. Mon homme insista, et Fa. l'interrogea du regard avant de baisser sa vitre pour lui demander ce qu'il voulait. Mon homme traversa la rue alors que Fa. sortait de sa voiture. Je m'éclipsai, les laissant tous deux discuter.

Mon homme revint un instant plus tard.
« Pfff… ce garçon… il va vraiment pas bien. »
Fa. nous avait révélé l'an dernier qu'il était un ancien dépressif et avait séjourné en maison de repos il y a quelques années, suite à une très lourde dépression. Il prenait toujours des cachets, quotidiennement, et tentait vainement de trouver quelque chose qui le tienne hors de l'eau. À son compte depuis peu, il fait un métier difficile et nerveusement épuisant.
« Je ne comprends pas qu'on puisse se plaindre comme il le fait, sans raison.
- Il a ses raisons, j'imagine bien. Il passe douze heures par jour à travailler, ça l'use. Et puis il ne connaît personne ici, il n'aime pas cette ville et il est seul…
- Et alors ? Nous aussi, on est seuls ! Nous aussi, on passe notre temps à travailler ! Nous aussi, on vit une vie de con et quelquefois on en a marre, et pourtant on est bien et on continue ! Tout le monde vit la même chose. Mais qu'est-ce qu'il attend de la vie ? Ça m'énerve, ces gens qui se plaignent sans arrêt. Ils s'inventent des problèmes avec leurs questions existentielles à la noix ! Qu'il arrête de se poser des questions et qu'il vive, merde ! »
Et je pensais à Fa., seul dans son appartement, pleurant peut-être, peut-être endormi devant sa télévision comme il nous avait dit qu'il en avait l'habitude, peut-être attablé dans sa cuisine, ne pensant à rien, et seul, et n'ayant ici personne à qui parler.

Comments

[Sissi]

parfois on n'a pas la force de faire quelque chose pour aller mieux... et c'est difficile de se sortir de l'impasse.
Bonne soirée tout de même.