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Une fois achevée l'épreuve
familiale qui m'avait vu faillir à m'ouvrir un tant soit peu à mon père, je
rentrai donc à Toulouse. Les mois suivants passèrent ainsi entre quelques jours
chez moi et la plupart du temps chez lui. Désormais, ma mère téléphonait
directement chez François pour m'avoir et avait donc eu l'occasion de lui
parler au téléphone. En revanche, lorsque j'appelais mon père, je prenais bien
garde à rester le plus discret possible. François, à juste titre, commençait à
trouver cette situation pesante, mais il avait surtout le désagréable sentiment
que je cherchais à le cacher, comme si j'avais honte de lui. Il avait du mal à
accepter que je ne puisse me résoudre à parler de lui à mon père comme lui
parlait de moi à ses parents, de façon tout à fait naturelle.
Un soir de juillet, après
que j'ai raccroché le téléphone, il me lança une phrase cinglante à ce sujet,
faisant tout à coup rejaillir les sentiments qui l'animaient de façon
étonnement violente et acerbe. J'eus beau tenter de lui expliquer en quoi il
m'était difficile de m'assumer devant mon père, la discussion qui suivit ne fut
que reproches et incompréhension mutuelle. Depuis quatre mois que nous nous
connaissions, je ne l'avais jamais vu ainsi et son acharnement me pétrifiait.
La soirée qui suivit fut désastreuse. Chacun de son côté, muré dans son
silence. Je me sentais incroyablement mal à l'aise et ne comprenais pas
pourquoi il réagissait avec une telle rancune et un tel entêtement à ne pas
essayer de me comprendre.
Lorsqu'il vint s'allonger à
côté de moi, je ne dormais pas. Lui s'endormit immédiatement. Au réveil ma
décision était prise de rentrer à Toulouse. Nous fîmes sans un mot le trajet
jusqu'à S. Peu avant le panneau qui nous signalait l'entrée dans la ville, je
lui demandai de me déposer à la gare. Il s'exécuta sans mot dire et repartit
aussitôt. J'attendis une petite heure le train suivant. J'essayais de lire ce
livre de Flaubert, ou était-ce Stendhal que je lisais à ce moment-là. En vain.
Le soir même, je retrouvai
quelques amis. Je ne les avais pas vus depuis un certain temps, les ayant un
peu négligés depuis ma rencontre avec François. J'assistai avec eux à un petit
concert donné dans un bar de la place Arnaud Bernard, où je repris très vite
mes habitudes de consommation, poussé par un désir évident de me saoûler
vraiment. Je remarquai un jeune homme qui me dévisageait discrètement,
détournant d'abord le regard dès que je posais le mien sur lui. Puis il me
regarda ouvertement, et notre échange se fit peu à peu plus insistant. Un
moment d'inattention me fit tourner la tête, et lorsque je le cherchai à
nouveau il avait déjà disparu. Je sortis juste à temps pour le voir disparaître
précipitamment à l'angle de la rue. C'est là que je compris que j'étais capable
du pire.
Pierre et Tania furent les
derniers à rester dans ce bar. « Farf, tu sais où on pourrait aller ?
On a envie de boire et de danser. »
Je ne le savais que trop
bien.
Je leur proposai donc
d'aller au Shanghai.