Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Face A
8 août 2004

Du plus loin qu'il m'en souvienne…

Bien sûr, il y eut des jours où tout cela me paraissait évident. Ces jours-là, j'envisageais l'avenir avec une certaine anxiété. Les conventions sociales, je ne les appelais pas comme ça à cette époque, mais je sentais bien leur poids, qui ouvrait à mon esprit un avenir truqué, faussé. Je ris maintenant en me rappelant les phrases qui se formaient dans mon cerveau. « Je vais devoir me marier, vivre avec une femme et mentir toute ma vie. » L'horreur absolue pour moi, pas tant de vivre avec une femme, mais de mentir, de n'être pas heureux.
Évident aussi, lumineux même, lorsqu'à côté de moi, dans les salles de classe, les bras nus de mon voisin attiraient irrémédiablement mon regard sur cette peau que je devinais douce. Ici, l'évidence se faisait morsure, douleur de ne pouvoir me laisser entraîner à tendre la main, me laisser aller à une étreinte.
Mais évidence en tout temps, du plus loin qu'il m'en souvienne. Une conscience aiguë de la sensualité, perçue tellement tôt, dans des images qui laissaient mon corps interdit.
Jamais je n'ai menti, si ce n'est par omission, comme on dit. Et plus important encore, jamais je ne me suis menti. Je l'ai toujours su, il m'a simplement fallu du temps avant d'en faire une part de moi.
Ne pas croire que cela a été difficile pourtant. Juste un peu délicat, d'apprendre à ménager ses élans. Envers les autres. Les préserver, attendre le moment, se préserver aussi.
J'ai attendu longtemps pour franchir mon premier pas. Attendre d'être sûr de moi. Attendre que le désir soit mûr, soit sûr. Je me suis préservé pendant près de vingt années. J'ai certainement perdu du temps, manqué de vivre des choses adolescentes. Mais tout me paraissait tellement logique. Attendre, foncer, et en parler.
Tu as été la première, première surprise, première à comprendre après quelques doutes. Et là, dans un souffle, j'ai disparu.
Parti recommencer une nouvelle vie ailleurs, comme une chance inouïe qui m'était offerte de repartir à zéro, cette fois certain de moi, puisque j'avais tellement attendu. Maintenant, je pouvais enfin dire qui j'étais. Belle renaissance, reconstruction en douceur, sans heurts.
De retour j'étais autre. Les yeux et les mots des autres me l'ont dit. Plus de mensonge, enfin, plus d'omission puisque mensonge il n'y avait jamais eu. Forcer un peu les mots, des fois, en rire. Convaincre que oui, je t'assure, je suis pédé. Tu ne me crois pas ? Tu veux que je te le prouve ?
Tout ça paraît facile, et le fut à peu près effectivement. J'ai raconté un jour ce chemin, elle n'a pas compris. Ne comprenait pas à quel point il était possible de renaître en repartant de zéro, de tout reprendre pour éliminer les malentendus.
Alors évidemment, il doit y avoir une part un peu plus sombre. Je ne sais pas si j'ai envie de la dire. J'ai l'impression d'être lâche en la disant là, maintenant qu'il est parti, après m'être torturé pour le lui dire de vive voix, même les tout derniers jours. Je savais pourtant qu'il le savait, et je savais qu'il n'attendait que ça, que je le lui dise. Je savais qu'il ne m'en voulait pas, qu'il l'acceptait et qu'il l'accepterait avec plus de plaisir encore si je le lui disais. J'ai su à ses yeux qu'il n'attendait plus que ça de moi, ces derniers jours, rien d'autre que quelques mots de moi. Et pourtant je feignais de ne pas comprendre.
Pourquoi n'ai-je pas réussi à les lui dire, ces mots qu'il connaissait ? Il est tellement facile de regretter que je trouve déjà abject d'écrire ces lignes. Les regrets viennent toujours trop tard, par définition, c'est leur nature même. Ils ne réparent rien.

Je ne voulais pas.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité