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Le voilà, le récit. Parce que j'en ai envie, c'est tout. Il sera
incomplet, il sera vrai ou faux, il sera court ou très long, il ne
s'achèvera pas puisqu'il est en cours de vie. C'est juste un exercice,
un si je devais dire.
Il manquera beaucoup d'éléments. Il ne verra peut-être pas le jour. Il verra la nuit alors.
Justement,
la nuit, c'est là que tout commence. Dans l'obscurité hachée de
lumières d'une boîte de nuit. A moins que tout ait commencé bien avant
déjà, ou bien après.
Je resterai sur cette nuit.
Je ne voulais pourtant pas sortir, je me l'étais promis. Les
semaines précédentes avaient été très agitées, alcool permanent, des
nuits entières dans le flou et les journées de vertiges. Toulouse
hibernait dans le gris de l'hiver, peut-être essayions-nous de contrer
ce sommeil par l'excès. Je ne garde de cette période de ma vie que des
bribes de souvenirs. Ce soir-là étrangement reste présent.
Vincent
et Stéphanie venaient de passer quelques jours à la maison. Journées de
balades et soirées arrosées, nous étions très fatigués. Une fois la
porte refermée derrière eux, je m'apprêtai à passer une soirée enfin
tranquille. Le ménage s'imposait et l'envie manquait de toute façon.
Trop, trop. Je ne sais plus qui m'avait appelé. Certainement était-ce
Mick, à moins que ce ne fût Pierre, pour me proposer comme tous les
dimanches soir d'aller prendre un verre au Cactus pour l'apéro. Je
refusai sans conviction et finis par accepter. « D'accord, mais juste
un verre et je rentre. »
Je parcourus donc en maugréant les quelques centaines de mètres qui
me séparaient de ce bar, où avait lieu chaque dimanche un concert
gratuit donné à l'heure de l'apéro. Nous avions l'habitude de nous y
retrouver, toujours les mêmes ou presque, pour finir la semaine de
façon agréable.
A vrai dire, le terme de semaine n'avait pas
vraiment de sens pour moi, à cette époque. Je venais de terminer mes
deux ans d'objection et avais décidé de plaquer mon DEA pour tenter les
concours d'entrée de diverses écoles de traduction. Je m'étais donc
inscrit aux ASSEDIC et étais censé préparer assidûment mes concours,
bénéficiant du RMI et des allocations logement. En réalité, je passais
mon temps à aller au cinéma ou à faire la fête, et à dormir. Que l'on
soit dimanche ou lundi m'indifférait donc au plus haut point.
Je ne
sais plus comment j'en étais arrivé à discuter avec ces deux filles que
je ne connaissais pas. Le concert devait être inintéressant comme
souvent, et l'alcool m'avait revigoré. Une fois la foule dispersée, je
me retrouvai à leur table et leur proposai d'aller danser. Fait rare
chez moi, j'en avais très envie ce soir-là. Les deux filles,
enthousiastes, se mirent à réfléchir à l'endroit où nous pourrions
aller. Nous n'avions pas trop le choix, la seule boîte ouverte en ville
le dimanche étant le Shanghai.