J'ai toujours été incapable de communiquer mes
J'ai toujours été incapable de communiquer mes émotions autrement
que par écrit. Et autrement que pour moi seul, dans un journal, peu
importe qu'il soit publié comme celui-ci ou non.
Autrement dit, je
crois que personne, parmi tous ceux qui me connaissent, ne sait
vraiment ce que je peux ressentir face à telle ou telle chose. Qu'il
s'agisse de l'émotion que peut me procurer une œuvre, qu'elle soit
littéraire, cinématographique, musicale ou autre, ou de l'émotion brute
qui naît des situations de la vie et des relations avec les autres, je
sais que je passe pour être quelqu'un de très réservé, qui ne veut ou
ne sait exprimer ses sentiments et ses émotions. Et je ne parle pas de
larmes ou autres manifestations physiques que je réserve à ma solitude,
non, je parle de mots. Les très rares personnes qui ont osé aborder
avec moi ce sujet (elles doivent être… allez, disons deux) se sont
alors dites très intriguées par ma personne et, après coup, très
surprises de ma réaction au fait qu'elles m'en parlent. En effet, dans
ce cas, je reconnais ouvertement être taciturne et avoue ne pas savoir
si c'est par manque de courage, par excès de pudeur ou tout simplement
parce que je ne sais pas parler. Je crois bien qu'il s'agit d'un
mélange des trois propositions : dès que la conversation sort du cadre
plus ou moins élargi du small-talk, je me referme comme une
huître et ne deviens plus qu'une oreille. Je ne sais plus parler. Je le
voudrais, à vrai dire, mais chaque tentative est un échec. Mon homme me
reproche d'ailleurs toujours très vertement lorsque nous parlons
sérieusement (je traduis : lorsque nous nous engueulons), de me replier
sur moi-même et de ne plus rien dire une fois passée la première salve
d'arguments.
Il semblerait qu'il y ait un terrain d'échange sur lequel je n'ose pas m'aventurer.
Oh, bien sûr, il y a eu des exceptions. La première personne, justement, à avoir abordé avec moi ce mystère farf,
a été je crois celle avec qui j'ai eu par la suite les échanges les
plus riches et les plus personnels, les plus intimes en termes
d'émotions et de sentiments. Je m'étonnais moi-même, avec elle, de mes
progrès dans ce sens, que nous constations tous les deux.
Aujourd'hui
encore, il m'arrive sporadiquement de m'ouvrir plus que de coutume,
mais je remarque une chose troublante : ce sera toujours avec une
personne qui m'est étrangère, ou dont je sais que je ne
la reverrai pas ou très peu.
Décidément, l'écriture reste un refuge et un exutoire facile, et ce ne sont pas les milliers de pages que j'ai noircies qui me diront le contraire.