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Face A
3 octobre 2014

Je trouve des terrifiants échos, des tristes

Je trouve des terrifiants échos, des tristes résonances, complexes et qui me tenaillent le ventre.

La position dans laquelle je me suis retrouvé ces derniers jours, qui tient de la caricature, m’a renvoyé à cette époque où moi aussi, jeune et insolent, j’avais sans le vouloir enflammé le cœur et le sexe d’un homme - dans des circonstances certes différentes, mais les échos sont flagrants.

De cette époque je garde des souvenirs flous et un peu honteux. Brumeux d’alcool. Remettons un peu les choses en place : une double vie - déjà ! Des sorties entre amis, une vie d’étudiant on ne peut plus normale en surface, fêtarde et alcoolisée. Puis, au moment où les amis décidaient de rentrer chez eux, je restais un peu, prétextant ceci ou cela. 

Désinhibé par l’alcool, ces nuits me voyaient souvent partir en quête d’affection, de corps à serrer et d’envies de sexe à satisfaire. Pas forcément en cachette, mais c’était ma façon de combler ce manque terrible qui me rongeait le ventre. Pour les autres, je n’étais que ce garçon un peu fou et drôle, ce farfadet, ce bon copain et confident. Personne ne s’était jamais soucié de savoir, ou personne n’avait jamais osé me demander « Mais toi… ? ». Ma vie sentimentale, sexuelle ou amoureuse était simplement une terre inconnue que personne ne semblait oser aborder. Un no man’s land que je partais donc explorer seul, tard dans la nuit quand plus personne ne pouvait s’inquiéter pour moi.

C’étaient généralement des étreintes brèves dans des recoins obscurs, ou bien de courtes heures passées dans un appartement inconnu avec un mec sans visage. Je rentrais, portant sur moi l’odeur incomparablement triste de la peau de l’autre, et je m’endormais jusqu’au soir comme souillé par cette odeur qui me hantait.

Ce soir-là le scénario fut à peu près similaire. Nous étions dans un bar excentré, nous buvions et dansions entre amis. Épanoui et un peu fou comme toujours, je faisais tournoyer les filles sur la piste dans de grands éclats de rire et de complicité. Au milieu de la nuit, fatigué, le groupe décida qu’il était temps de rentrer.

« Allez-y, je reste là, moi !
- Tu es sûr ? Tu sais où on est ? T’es super loin de chez toi là, tu vas rentrer comment ?
- T’inquiète, je rentrerai à pied… »

Ils avaient évidemment raison, j’étais complètement perdu. Je suivis donc cette immense et interminable avenue que je ne connaissais pas, trébuchant sans doute un peu, ne sachant où j’allais. Ai-je levé le pouce pour arrêter une voiture ? Pas impossible, je ne sais pas. Je me souviens juste de m’être retrouvé assis côté passager dans l’obscurité d’une petite voiture un peu vieillote, à côté d’un vieux monsieur qui s’était arrêté pour m’aider et me posait désormais quelques questions auxquelles je devais être incapable de répondre.

Je ne sais plus qui a posé sa main sur la cuisse de l’autre, c’est peut-être moi après un sous-entendu de sa part, mais je me rappelle sa surprise lorsqu’il comprit l’éventualité qui s’ouvrait à lui.

Fondu au noir. 

Intérieur nuit, un petit appartement 2 pièces d’une barre de HLM. Une chambre. Une image : allongé sur le dos, je découvre le visage de l’homme dressé sur le lit et qui se penche vers moi, s’arrêtant avant de m’embrasser. C’est un vieil homme. Il doit avoir trois fois mon âge, entre soixante-cinq et soixante-dix ans probablement. Il s’arrête donc un instant et ses mains caressent mon visage. Il sourit. Ses yeux brillants expriment à la fois l’incrédulité, la surprise, la joie, la gratitude. Il semble ne pas en revenir.

Puis je me réveille un peu plus tard, seul dans le lit. Arrivé dans la pièce principale, je découvre que la table est mise. Deux assiettes, face à face, avec chacune une tranche de jambon et un morceau de pain. Le vieux monsieur m’attend fébrilement. Englué d’alcool, je balbutie quelques mots, je dois partir, je ne peux pas rester, je dois rentrer chez moi. Il essaie d’insister un peu, visiblement très déçu. Je sors précipitamment de cet appartement sordide et cours presque dehors.

 

Même si je n’ai jamais oublié cette histoire, les événements de ces derniers jours l’ont fait ressurgir avec une cruauté inouïe. Bien sûr, ce n’est pas la même chose. Pas tout à fait.

Mais ce vieil homme qui n’ose même plus rêver de serrer un jour un corps dans ses bras. Ce vieil homme qui tremble et qui n’y croit pas. Ce regard émerveillé qui semble vouloir figer le temps, que cette étreinte ne soit pas qu’un rêve.

Ces derniers jours, face à ce garçon qui me hante encore (oui, disons les choses), ce vieil homme c’était bien moi. Prêt à tout pour y croire, dans un pathétique espoir, plongé dans les affres d’une quête qui se révèle sans fin. Anéanti, rongé par l’attente de ce que l’on ne fait qu’effleurer quelques fois dans une vie. Bouffé, meurtri, bouillonnant, prêt à ramper pour une seule étincelle, pour cette inaccessible et seule lueur. Pour un idéal qui n’existera jamais mais qui reste le moteur de mon cœur et de mon ventre, aujourd’hui comme il y a vingt ans. Cette attente que j’écris, que j’ai toujours écrite, que j’ai toujours ancrée au fond de moi. Cette incessante quête qui me fait sans cesse trébucher fait aujourd’hui de moi ce vieil homme resté seul dans son appartement, voyant s’enfuir en courant l’image de sa jeunesse idéale, insolente, insouciante et surtout insaisissable.

 

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Commentaires
F
Oh, je te reconnais bien là, sage Kitty… toujours tu sais trouver le bon côté vers lequel regarder. Finalement on se complète bien tous les deux… bises à toi et merci d’être passée.
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K
Moi, j'ai toujours été ce vieil homme qui rêve… :)<br /> <br /> Et, au fond, je crois que j'ai plus de tendresse pour lui, qui sait voir la beauté, la reconnaître, l'honorer, que pour l'affamé qui assouvi sa faim :)
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F
Exactement… j’essaie de mettre à plat, de prendre le recul, la distance nécessaire. Mais cette mise en perspective-là m’enfonce plus qu’autre chose. Autant le dire, je suis terrassé.<br /> <br /> Merci d’être passé et d’avoir pris le temps.
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L
Mise en abîme. Ca facilite la lecture du présent mais ça ne soigne pas les plaies.
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