Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Face A
8 février 2005

-14-

J'appelai François le lendemain, comme tous les jours. Il me semblait extrêmement distant, et j'en éprouvai une certaine douleur. Je le sentais s'éloigner de moi, tenter de me montrer qu'il était indifférent au fait que je sois parti. Il m'annonça comme si de rien n'était qu'il comptait vendre son commerce pour partir s'installer dans le Nord et qu'un acheteur potentiel était venu le jour même. Mon sang ne fit qu'un tour.
« Moi qui viens de décider de ne pas partir à Paris pour pouvoir rester avec toi...
- Je ne te l'ai pas demandé. »
Curieusement, je souffrais de cette tension mais ne pensais pas du tout à mon incartade de la nuit précédente. Je m'apercevais avec stupeur que je n'éprouvais pas le moindre remords, pas la moindre culpabilité. Pire encore, les propos de François me semblaient presque justifier mon acte.
« Je pense que je reviendrai demain ou après-demain.
- Ah, parce que c'est toi qui décides quand partir et quand revenir... »
Nouveau coup de couteau. Je savais qu'il avait raison et que ma conduite pouvait paraître déplacée, mais je me refusais à ce que nous nous expliquions par téléphone et souhaitais le revoir au plus vite pour dissiper ce nuage délétère qui semblait parasiter nos conversations.
Je pris le train le surlendemain pour rentrer à S. L'accueil fut froid sans être trop désagréable. Nous mangeâmes en silence, chacun évitant le regard de l'autre. Une fois au lit, dans l'obscurité, je ne pus que lui dire « Je tiens énormément à toi... vraiment. » Il se tourna vers moi et me prit dans ses bras. « Moi aussi je tiens à toi. »

L'été se passa ainsi au même rythme que les mois qui avaient précédé. Le mois d'octobre arriva, et je dus réintégrer mon appartement de Toulouse pour ma rentrée universitaire. J'y passerais la semaine et rentrerais le week-end à S. pour être avec François, qui y avait entre temps loué un appartement pour ne plus habiter chez ses parents.
Mon retour aux études me fit le plus grand bien. Nous étions douze étudiants, dont quatre garçons. Notre emploi du temps était assez condensé et nous laissait libres le vendredi. Je me liai assez rapidement avec quelques-uns de mes camarades, avec lesquels j'allais tout de même passer un temps non négligeable.
Depuis ma rencontre avec François, et à l'exception de ces trois jours de juillet qui m'avaient vu revenir à Toulouse sur un coup de tête, je n'avais pas revu mes amis, que je fréquentais pourtant très assidûment depuis près de deux ans. Mon retour à Toulouse n'y changea rien. Vincent, mon colocataire, fut le premier surpris de me voir rester enfermé dans mon appartement toute la semaine et ne plus contacter qui que ce soit. Je refusais systématiquement toutes ses propositions de sortie et passais plusieurs heures par jour au téléphone avec François. Je ne parlai presque plus à Vincent, et lorsqu'il rentrait de son travail assez tard dans la soirée, je m'enfermai dans ma chambre après avoir échangé quelques banalités d'usage.
La seule exception fut une soirée avec mes nouveaux camarades du DESS. J'avais envie de changements, envie de nouvelles têtes et nouveaux centres d'intérêt. Les mois suivants, je passai avec eux deux ou trois soirées très agréables. Un soir, Vincent me fit part des reproches de nos amis communs, qui se plaignaient de ne plus me voir. Il est vrai que j'avais coupé les ponts assez brutalement, tout comme je l'avais fait lorsque j'avais quitté Montpellier cinq ans plus tôt. Par la même occasion, il me fit part également de son propre désarroi face à mon attitude. Je m'agaçai de ces reproches de vieux couple, arguant que je n'avais de comptes à rendre à personne et que l'on me laisse vivre ma vie. Vincent ne comprenait pas que je préfère passer une soirée avec des étudiants que je ne connaissais qu'à peine plutôt qu'avec des amis de deux ans. « Tu vas te faire chier, y'a rien de plus mortel que les soirées avec des gens de la fac. » Sa remarque finit de m'exaspérer.
Outre mes échanges téléphoniques avec François, j'appelais également mon père tous les jours, désormais.
Il avait subi au mois de juin une opération très délicate et très fastidieuse, qui l'avait grandement éprouvé. J'étais à Paris pour mes concours d'entrée à l'ESIT lorsque Vincent m'avait laissé un message sur mon téléphone portable pour m'en avertir. Rien de grave, m'avait-il dit, des polypes dans l'œsophage. J'avais alors appelé mon père qui m'avait rassuré, et quelques jours après mon retour, sa compagne m'avait téléphoné pour me dire qu'il s'agissait en fait de tumeurs cancéreuses. Mon père n'était pas censé le savoir. Je m'étais rendu à Montpellier pour lui rendre visite à la clinique et avais pu constater à quel point il était affaibli. Le rétablissement serait très long.
Pourtant, en ce début d'automne, mon père avait déjà retrouvé une forme étonnante. Il avait bien compris qu'il s'agissait d'un cancer, et les médecins ne le lui avaient pas caché longtemps. De tempérament combatif, il avait donné son meilleur pour recouvrer la santé, et ses efforts avaient payé. Il s'était installé avec Mireille dans une maison isolée du massif des Cévennes, à près de deux heures de route de Montpellier. Je l'appelais donc tous les jours, relativement rassuré quant à son état de santé mais soucieux tout de même.
Je sentais que jusque-là, je n'avais pas vraiment tenté de lui rendre ce que lui et ma mère m'avaient apporté. Mes coups de téléphone étaient autant de tentatives maladroites de lui prouver mon affection, mais je savais qu'elles étaient vaines, car j'étais toujours incapable de lui dire ce que je savais qu'il voulait entendre.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité