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Face A
3 février 2005

-3-

Depuis quelques mois, depuis le mois d'octobre plus exactement et cette soirée où nous avions fêté mon anniversaire chez Sophie, mon esprit était parasité par un garçon.
Le regard de Didier m'avait immédiatement frappé lors de cette soirée, sa minceur fragile, ses grands yeux noirs et doux et ses sourires timides. Nous nous revoyions régulièrement depuis, et j'étais toujours intimidé par ce garçon qui semblait tellement correspondre à ce que j'attendais. Attentif et gentil, il avait un humour décapant, très pince-sans-rire. Sa culture littéraire et musicale était très proche de la mienne, nous avions de nombreux goûts en commun et pour ne rien gâcher il était vraiment charmant. Pour moi, il était évident qu'il aimait les garçons et que rien ne le liait à celle qui était officiellement sa copine. Je le voyais souvent avec Cyrille, et je me rappelle particulièrement une nuit que nous avions passée tous les trois à déambuler de bar en bar jusqu'au petit matin. Après que nous avions raccompagné Cyrille chez lui, Didier avait fait avec moi le chemin qui me ramenait à mon appartement, non loin du sien. Devant le grand portail rouge de l'immeuble, nous nous étions regardés sans rien dire, un sourire gêné aux lèvres. Le type de regard qui à mon sens ne trompait pas. Je m'étais alors approché de lui et l'avais embrassé à pleine bouche. Il n'avait pas eu l'air surpris.

Voilà donc que quelques jours plus tard, à peine quelques jours, trois ou quatre peut-être, je descendais à nouveau les escaliers du Shanghai pour rejoindre le bar du fond. Ivre et fatigué. Machinalement.

Comme à mon habitude, je m'assis au comptoir pour commander un Gin-tonic et me tournai vers la petite salle. Les habitués allaient et venaient, faisant des allers-retours incessants du bar à la backroom. J'aimais observer ces manèges et lire sur les visages la satisfaction ou la frustration, la gêne ou le manque d'assurance des novices du lieu, la fierté assurée des petites pétasses qui s'assumaient pédés et fiers de l'être, la discrétion de certains joueurs de rugby qui allaient se faire sucer dans l'obscurité et revenaient dans le bar en essayant de conserver cette virilité et cet air de ne pas y toucher qu'affectionnaient particulièrement les habitués du lieu. Pour ma part, je restais toujours assis un moment avant de pénétrer dans la pièce voisine. Un écran de télé y diffusait en boucle des pornos pendant que les mecs se mataient entre eux, se jaugeaient du regard avant d'aller dans la backroom. Généralement, je ne m'y attardais pas et partais directement chercher mon bonheur dans le noir. Droit au but. J'aimais cette promiscuité, toucher au hasard sans savoir ce que l'on allait rencontrer, quitte à se faire rabrouer. L'attrait de la chair pure, que ça. Étreintes sans joie, qui nous procuraient un semblant d'affection, un moment d'attention. Plusieurs fois, je m'y étais oublié totalement, me réveillant soudain lorsque les lumières se rallumaient à l'heure de la fermeture, me retrouvant tout seul au milieu de cette petite pièce sordide, tous les autres corps ayant disparu comme par magie alors qu'ils m'enlaçaient encore quelques secondes plus tôt.
Mais pas ce soir-là.

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